« Oser la rencontre de l’autre », exhortation du père provincial, février 2022

Chers frères, le temps coule ! Nous voici déjà entamant le second mois de l’année. Du Mexique où, je me trouve en ce moment pour notre chapitre général, je vous adresse cette “salutatio” dans laquelle je voudrais revenir sur le thème de la rencontre, la rencontre de l’autre : un challenge qui mérite d’être affronté. Dernièrement, j’en avais brièvement souligné la nécessité en la posant comme un antidote efficace face à la mutation fulgurante de « l’ADN de la mort »[1].

De la hardiesse

Il est indéniable, la personne humaine, « Imago Dei », ne peut développer la conscience qu’il a de lui-même comme personne singulière qu’à travers la rencontre de l’autre. Cela, nous le savons de par la tradition, de par notre foi chrétienne, non seulement théoriquement mais aussi et surtout, premièrement, par expérience, du simple fait d’être humain. Toutefois, avec humilité, il faut le reconnaitre et avec lucidité le dire : rien n’est gagné à l’avance.

Qu’il s’agisse d’aller à la rencontre de l’autre ou qu’il s’agisse de rencontrer l’autre, en soi, toute inclination vers l’altérité nous ramène à l’évidence de ce que nous sommes, tout comme pour dire que nous ne sommes jamais assez préparés. À propos, j’aime bien certains aspects de la pensée de Sartre pour le réalisme avec lequel il décrit ce que la rencontre de l’autre peut susciter en nous : une crainte, un jugement précoce, une perte de confort qui, tous, en réalité, reflètent réellement nos propres incertitudes, eux-mêmes confirmées par le développement de mécanismes de défense comme la méfiance, le renferment sous toutes ses formes … Telle est notre nature et, nous en faisons quotidiennement l’expérience d’une manière ou d’une autre.

Evidemment, si en allant à la rencontre de l’autre, nous y allons avec Tout ce que nous sommes, de fait, devrions-nous aussi nous laisser rencontrer par l’autre avec Tout ce qu’il est car, comme le dit Levinas, « l’autre est ce que je ne suis pas » [2]. À ce niveau précis, se situe le challenge dont toute la splendeur révèle le contenu du terme « Oser ».

Oser !

Oser la rencontre, oser rencontrer l’autre dans les aéropages qui sont les nôtres aujourd’hui : écoles, paroisses, centres culturels, fermes écoles, réseaux sociaux, …  Il s’agira, probablement, de manière concrète d’inventer et d’emprunter un chemin qui génère une attitude de proximité, de solidarité, d’ouverture profonde et de don de soi. Et comme dit Saint Exupéry, si, « On ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux », ce chemin qui puisse favoriser cette rencontre de l’autre, dans sa particularité, dans sa différence et dans son originalité, c’est celui qui ne saurait négliger une bonne compétence émotionnelle.

L’exemple de la fondation de l’Église à la Pentecôte, ici, illustre mieux ce que je dis. En fait, l’Esprit Saint, en descendant sur les apôtres les rend capables, non pas de s’enfermer dans la chambre haute où ils étaient rassemblés, mais au contraire d’ouvrir les portes et d’aller à la rencontre de ceux qui étaient alors à Jérusalem et de leur annoncer le Christ de telle façon que chacun puisse le comprendre dans sa propre culture, dans ce qu’il est et ce qu’il a, traversant ainsi les barrières linguistiques, les incompréhensions historiques, les intérêts dirais-je peu humains.

La réalité du chapitre que nous vivons en ce moment conforte cette conviction qui est mienne. Dans la salle capitulaire, nous sommes une soixantaine de participants. On y retrouve des frères venant du Nord ; certains, du Sud ; d’autres, de l’Est ; et d’autres encore de l’Ouest. Malgré ce que ce “melting” pot peut sous-entendre de réalités divergentes, tout se déroule objectivement bien.

Oser la rencontre en inventant et empruntant un chemin autre, nous le pouvons !  

[1] Salutatio du mois de décembre 2021

[2] LEVINAS, E., De l’existence à l’existant. Éd. Fontaine, 1947, p. 161-163.

P. Christian Djinamoto EHEMBA, Sch.P.